Le Grand Minuit

Yves Rémy, qui est mort ce 19 avril 2022 à Perpignan, à l’âge de 85 ans, était avec sa femme Ada une des grandes voix du fantastique français du xxe siècle, avec un pied fermement et amicalement planté dans le suivant, et la tête un peu partout. Né le 19 décembre 1936 à Fresnes-sur-Escaut, d’une famille vosgienne, il avait étudié le cinéma à l’IDHEC ; en préparant le concours au lycée Voltaire, à Paris, cet homme discret et taiseux avait rencontré Ada – alors Gauthier – pour ne plus la quitter avant ce triste avril 2022.

Ensemble, ils ont eu une fille, Frédérique, aujourd’hui glaciologue et historienne des sciences émérite. Ensemble, ils ont parcouru la France et la planète, documentaristes insatiables, pour des dizaines d’entreprises, mais aussi pour l’armée française, au bénéfice de laquelle ils ont signé quelques sujets bouleversants.

Ensemble, ils ont mené en parallèle de cette carrière bien remplie un singulier parcours d’écrivain à deux têtes et à quatre mains, qui fonctionnait suivant un principe exposé il y a quelques années au magazine Bifrost n° 79 (splendide entretien qui date de 2015 et reflète à merveille la tendresse, l’ironie, l’élégance d’Yves et d’Ada). « Yves a beaucoup, beaucoup, beaucoup d’imagination, confiait Ada à Richard Comballot. Dans la vie, je suis rapide, il est peinard. En écriture, il a une imagination débordante et moi, je ne supporte pas que ce ne soit pas le mieux écrit possible. Alors je fais du montage, je fais plus concis. » De la jonction de ces deux imaginaires, de ces deux méthodes a surgi un génial recueil (« une des plus fortes histoires rêvées qui existent dans toute la littérature », disait Michel Jeury), Les Soldats de la mer, maintes fois épuisé, maintes fois réédité ; des romans d’une rare beauté, qui ne répondent à aucune mode ni aucune règle, si ce n’est celles un peu folles édictées par ce monstre bicéphale – La Maison du Cygne, Le Grand Midi, Le Mont 84 ; à venir, Le Fou de la star, commencé il y a quelques années et dont Yves a pu voir avant de mourir les épreuves et la couverture. Et des nouvelles et novellas par quelques dizaines, dont Le Prophète et le Vizir.

Et Yves – Yves et Ada, ils sont inséparables – était aussi un ami. Nous sommes plusieurs au Visage Vert à avoir eu la chance de les croiser tous les deux au début des années 2010, quand ils se disaient, rieurs, un peu oubliés du monde de l’édition. Xavier Vernet, de Dystopia Workshop, voulait à tout prix rééditer Les Soldats de la mer ; il avait contacté François Ducos, collaborateur du Visage Vert, qui avait assuré en 1998 pour Le Fleuve Noir la troisième réédition de ce chef-d’œuvre. Le lien s’était créé rapidement entre les Parisiennes du Visage Vert, Elisabeth Willenz et Anne-Sylvie Homassel, et les Rémy, qui habitaient dans les hauteurs de Paris un étonnant appartement peuplé de statues religieuses. Amitié délicieuse faite de discussions hilares, de rencontres en librairies, de considérations littéraires et historiques (et d’excellents fromages). Le Visage Vert a eu l’honneur et le plaisir de superviser une traduction en anglais, par Edward Gauvin, de deux nouvelles extraites des Soldats de la mer, de publier la version radiophonique de la nouvelle « Transsibériennes d’Artem Bertossian » (laquelle reflète l’intense passion d’Ada et Yves pour la musique), de rééditer le ténébreux et cinglant Grand Midi ; nous publierons ce mois de mai Le Fou de la star, un roman d’amour fou (thème récurrent chez les Rémy, avec la guerre et les mystères) qui ne ressemble qu’à eux. Comme tout ce qu’ils ont écrit, comme tout ce que l’on continuera à lire d’eux, avec eux.

La rédaction du Visage Vert

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