La Comtesse (2009). Film américano-franco-allemand de et avec Julie Delpy
L’histoire tragique d’Erzsébet Bathory (1560-1614) a déjà été portée à l’écran plusieurs fois. Beaucoup de bonnes fées s’étaient penchées sur le berceau de La Comtesse : acteurs talentueux, parmi lesquels on peut mentionner William Hurt, parfait dans le rôle de Thurzo, l’adversaire de la Bathory, et surtout, Julie Delpy, tour à tour hautaine, émouvante, hantée, le décor suggestif d’un burg (slovaque ?), résidence de la noble Hongroise, de superbes images, rivalisant parfois avec les tableaux maniéristes de l’école de Prague (la chair cireuse de la comtesse, les clairs-obscurs des intérieurs), une fine et élégante musique due à Julie Delpy. La réussite était au bout du chemin ; et pourtant, ce film est un échec. Il doit son déclassement à un scénario inepte qui ruine les efforts déployés. La cinéaste a trahi l’actrice. Peut-être sous la pression des producteurs, la Française, suivant consciemment ou inconsciemment l’exemple de Coppola dans son Dracula (1992), a cru pouvoir marier la love story à la légende sanglante, les soupirs enamourés aux grincements de la vierge de fer. Mais dans le cas de Coppola, le baroquisme, le kitsch sublime de l’ensemble, permettent de faire l’impasse sur certaines afféteries. Avec La Comtesse, il n’en est malheureusement pas question.
Sans doute repoussée par l’aura grand-guignolesque entourant son sujet, Julie Delpy a voulu humaniser celle que la tradition stylisait en monstre sacré. Son film aurait pu s’appeler La Vie passionnée d’Erzsébet Bathory, car l’actrice-cinéaste attribue une origine prosaïque à la cruauté bathorienne : les amours contrariées d’une femme mûre et d’un jeune homme. Transcendant ces prémisses, Racine avait créé un chef-d’œuvre. Pourtant, l’anti-héroïne de La Comtesse n’est pas Phèdre, et la vision de cette châtelaine partagée entre un jeunot idéaliste et un roué masochiste avide de cinglades, suscite le bâillement. Ne reprochons pas à Julie Delpy d’avoir adopté l’interprétation cosmétique des bains de sang. Certes, comme je l’ai montré dans Le Visage Vert (1), l’épisode de la coiffeuse maladroite, le sang comme eau de jouvence, les ablutions vermeilles n’apparaissent pas lors du procès de 1611 ; il s’agit d’une tradition populaire, reprise au siècle suivant par un jésuite hongrois, le père Turoczi (1729) à des fins d’édification. Quant à l’usage bathorien d’une vierge de fer, mis en images dans La Comtesse, c’est un romancier, Sacher-Masoch, qui l’évoqua le premier dans une nouvelle, « Eau de jouvence », en 1874. La Comtesse n’étant pas un documentaire, mais une fiction, Julie Delpy avait parfaitement le droit de préférer le Mythe à l’Histoire. Toutefois, la thématique frénétique est traitée avec trop de retenue, et ici, la sobriété se change en froideur.
L’infidèle biographe de la Bathory, Valentine Boué-Penrose, avait su se départir de la modération française pour offrir au lecteur dans son roman de contrebande (2) quelques belles pages convulsives. À l’inverse, Julie Delpy substitue au roman noir un roman sentimental. Mais l’on ne donne pas impunément congé au gothique. Avec lui a fui la démonie, et le lyrisme incantatoire du château perdu et de la louve friande de sang virginal. Au final, cette Comtesse s’avère trop raisonneuse pour plaire aux démons ; la poésie ne l’habite pas.
Notes
(1) Le Visage Vert, n° 11, octobre 2001, p. 56-61.
(2) Valentine Penrose, Erzsébet Bathory. La comtesse sanglante, Paris : Mercure de France, 1962.
[Et pour voir la bande annonce, c’est ici. Le film est paru en DVD en décembre 2010.]