Il est profondément horrible, ce court spectacle intitulé Sade 2.0 que donnent au théâtre des Déchargeurs (c’est bien trouvé) deux échappés de la compagnie l’Héautontimorouménos, la comédienne Clémentine Marmey et l’auteur et metteur en scène Jean-François Mariotti. On y est allé un soir de neige en tremblant : la salle, nous avait-on dit, est minuscule et la comédienne déchiffre toutes les expressions faciales des spectateurs — dégoût, ennui, ravissement, surprise. Et autres. Pendant cinquante minutes, Marmey, cheveux tirés, yeux écarquillés, bouche triangulaire et gourmande, raconte de sa voix précise, timbrée, un conte affreux dont la trame et les noms propres (ou sales, c’est selon) sont empruntés à l’histoire du XXe siècle, et le texte aux Cent vingt jours de Sodome, du marquis de Sade, dont on aurait tort de croire le pouvoir de sidération diminué. Pétain se branle sur le corps agonisant de Jean Moulin, Bismarck fout six filles et leurs mères, Heidegger s’amuse avec Hannah Arendt et Hitler avec Anne Frank, le tsar Nicolas II se fait enculer par tout une ferme et Marianne, la Marianne des mairies, subit les pires tortures aux mains de ses ennemis. Mariotti envoie sur Marmey crucifiée par les ordures qui lui sortent de la bouche des images tour à tour violentes et douceâtres, ces deux phénomènes célébrant les obsèques d’un siècle qui, dit Mariotti, a bien mis cinquante ans à crever. Sans qu’on sache bien si le suivant, qui pue déjà, est plus recommandable. Le lendemain, on a encore à l’esprit le miroitement orange, sur le visage halluciné de Clémentine Marmey, du lac au bord duquel pique-niquent et forniquent, à jamais, quelques suppôts de l’enfer — Hitler, Staline, Franco, Mussolini. Et vous, spectateurs, bien malgré vous.
C’est à voir et à écouter pour une bonne dizaine de représentations encore — tous renseignements ici.