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En quête du rien (un article d’Élisabeth Willenz)

Derrière ce titre un brin mystérieux et passablement nihiliste, se cache un court récit plutôt hilarant de l’auteur de La Femme en blanc et de La Pierre de lune. Le sous-titre « Témoignage d’un voyageur anonyme » laisserait supposer que le narrateur ne serait pas l’auteur lui-même. On peut toutefois imaginer que les deux personnages ne sont pas complètement étrangers l’un à l’autre, si l’on se fie aux consignes du médecin, scrupuleusement notées par l’épouse dévouée de ce « voyageur anonyme », qui deviendront sous sa plume les « Règles pour le rétablissement de mon cher William ».

Bref, que Wilkie Collins ait été victime ou non de surmenage au cours de sa longue carrière littéraire n’est pas vraiment le sujet. Ici, l’on savourera la logique poussée jusqu’à l’absurde de ce repos imposé par la Faculté à un homme de lettres assurément peu habitué à regarder les mouches voler : il suffit de jeter un œil à la bibliographie de Wilkie Collins pour s’en convaincre.

Ce repos forcé se transforme vite en pure torture, dès lors que l’activité la plus anodine, comme lire un roman ou prendre part à une discussion, se voit frappée d’une interdiction absolue. Plus question ici de l’oisiveté créatrice prônée par Stevenson, mais bel et bien d’une censure totale de toute activité susceptible d’alimenter autre chose qu’une existence végétative, en résumé : manger, dormir, et quand on dit « dormir », il n’est même pas certain que la riante campagne anglaise – inutile de préciser que le patient a dû se mettre au vert pour pouvoir recouvrer une santé hypothétique – constitue le lieu le plus propice au sommeil réparateur.

Face à ces désagréments en cascade et en réponse à l’ultime question posée par le narrateur désemparé, l’on serait presque tenté de suggérer au malheureux : « Avez-vous songé à une cure d’agitation ? »

Quoi qu’il en soit, je ne doute pas que vous éprouverez quelque joie à découvrir les maux qui accablent le pauvre William au fil de ce récit plein d’humour et de dérision.

En quête du rien
William Wilkie Collins
« La petite collection » des Éditions du Sonneur, 2011
46 pages, 5 euros.

Orchidées de papier (un article d’Elisabeth Willenz)

Orchideengarten. Eine kommentierte Bibliographie
Bibliographie commentée et illustrée de la revue Orchideengarten par Robert N. Bloch, Giessen : Verlag Lindenstruth, 2011
54 pages, format 13,5  20 cm, 12 euros.

Voilà quelques années, nous avions suggéré à Robert Bloch, notre collaborateur d’outre Rhin d’écrire pour Le Visage Vert un article sur la célèbre revue allemande Orchideengarten. À l’époque, il nous avait objecté que le Jardin des orchidées était déjà bien connu et suffisamment commenté, et il préféra nous livrer un article – passionnant – sur l’éphémère revue viennoise Kokain (voir Le Visage Vert, n° 8, avril 2000). Une décennie plus tard, notre souhait est exaucé et Robert N. Bloch publie chez G. Lindenstruth, qui édite par ailleurs sa revue Arcana, un précieux fascicule pour l’amateur de littérature fantastique du xxe siècle.
Cette bibliographie recense et commente brièvement tous les textes figurant au sommaire de la revue munichoise fondée par Alfons von Czibulka, alors jeune écrivain et traducteur, au fil des 54 numéros publiés entre 1919 et 1921. Pour mieux accrocher le lecteur, Czibulka était parvenu à convaincre Karl Hans Strobl de parrainer le projet et de fournir des textes à la revue, ce qu’il fit, mais sans participer directement au travail de la rédaction de Munich.
Si certains auteurs célèbres comme Strobl, A. M. Frey, Paul Frank, Oscar A. H. Schmitz publièrent une ou plusieurs nouvelles dans la revue, la plupart des contributeurs de langue allemande demeurèrent parfaitement inconnus. Des célébrités comme Gustav Meyrink ou Alfred Döblin, dont la participation avait pourtant été annoncée, ne collaborèrent en fait jamais à la prestigieuse publication. À défaut, on trouve dans les pages d’Orchideengarten nombre d’auteurs étrangers renommés traduits, tels Maupassant, Conan Doyle, Kipling, Mérimée, Hawthorne, Byron, Pouchkine, Dickens, Gautier, Edgar Poe, et la liste est loin d’être exhaustive.
Outre ces signatures célèbres, Orchideengarten avait pour objectif d’offrir à ses lecteurs une revue richement illustrée (par Alfred Kubin, Karl Rabus, Otto Linnekogel, Karl Ritter, etc.), ce qui explique qu’elle fut collectionnée et, ainsi, relativement préservée de la destruction par rapport à d’autres publications de la même époque. Cela dit, le mauvais papier d’après-guerre rend sa conservation extrêmement délicate. Par conséquent, on saura gré à Bernard Goorden d’avoir scanné la revue, faisant œuvre patrimoniale (il conviendra d’aller chercher ces scans par ici).
Objet de collection avant tout, le contenu même d’Orchideengarten avait été peu étudié jusqu’à présent ; Robert N. Bloch y remédie parfaitement avec cette bibliographie commentée et illustrée. L’amateur sera peut-être un peu frustré par la taille des reproductions des magnifiques couvertures illustrées présentées ici, mais les quatre planches couleurs de cette brochure parviennent malgré tout à donner un bon aperçu de la beauté de cette revue mythique.

À nos lecteurs germanophones s’intéressant aux travaux de Robert N. Bloch, nous ne pouvons que conseiller de découvrir ce personnage, à la fois rigoureux et plein d’humour, à travers les Mélanges que lui ont offerts ses amis à l’occasion de son 60e anniversaire, en mai 2010. L’ouvrage s’intitule Phantasmen. Robert N. Bloch zum Sechzigsten, il a été publié sous la direction de Marco Frenschkowski, Gerhard Lindenstruth et Malte S. Sembten, aux éditions Lindenstruth. Il se compose d’études savantes et de témoignages personnels qui permettent de cerner l’univers dans lequel évolue cet incomparable connaisseur du fantastique allemand.

Elisabeth Willenz