Inutile de dire qu’on se faisait une joie immense au Visage Vert d’aller rencontrer l’Ange du bizarre au Musée d’Orsay. Du Goya, du Füssli, du von Stuck, du Klinger, du Redon, du Moreau et bien d’autres, en veux-tu en voilà. L’exposition regorge de splendeurs, c’est un fait. Son sous-titre (« Le romantisme noir de Goya à Max Ernst ») n’est en rien mensonger. Et cependant, contrairement à Crime et châtiment, qu’Orsay présentait il y a trois ans, cet Ange du bizarre laisse curieusement froid, en dépit de sa belle et simple scénographie. Les extraits cinématographiques qui ponctuent la déambulation du visiteur sont dûment fantomatiques et relativement bien choisis ; les textes d’accompagnement sont sobres ; les problématiques (paysages mystérieux, anges et démons, femmes et bêtes, etc.) abordées et illustrées. Mais voilà : le bizarre n’est guère au rendez-vous. Peut-on faire l’hypothèse suivante ? Les œuvres que l’on voit à Orsay étaient connectées organiquement à une littérature dont l’existence n’est que suggérée. Détachées de leurs sources livresques, elles flottent joliment, sans grand enjeu esthétique, dans les galeries gris fer du musée. Où sont-ils, les Nerval, les Nodier, les Hogg, les Scott, les Brontë, les Borel, les Chamisso, les Hoffmann, les Shelley, les Byron, les Poe qui ont nourri ces démons, ces sorcières et ces fous ? Et la littérature populaire (totalement absente de l’exposition), grande colporteuse de ténèbres ? Reste donc une superbe galerie de tableaux et de gravures qu’on sera ravi, bien sûr, de contempler et d’analyser (même si la partie consacrée au surréalisme laisse franchement à désirer). Pour le vrai voyage au Brocken, on attendra…
Rien à voir, ou presque, mais en sortant d’Orsay, on pourra avec profit longer la Seine jusqu’à la rue Guénégaud et passer voir à la galerie Da-End (en elle-même splendide endroit) les magnifiques créatures transgéniques de Lucy Glendinning, artiste britannique née en 1964. Ce n’est peut-être pas là que s’est réfugié l’ange du bizarre de Poe (encore que ?). Mais il passe sur certaines de ces sculptures quelque chose de l’esprit du Docteur Plume, cher aussi à Jan Svankmajer.